08/01/2016

An de Naomi Kawase


An (Naomi Kawase, Japon, 2015)


An est le nom de la pâte de haricots rouges sucrée qui se glisse entre deux pancakes japonais pour former les dorayakis, pâtisserie que vend Sentaro dans sa minuscule boutique. Un jour une vieille dame timide et très souriante s'approche et lui demande s'il peut l'engager, il refuse. Il finira par accepter après avoir goûté sa pâte an, bien meilleure que celle qu'il achète. En lui enseignant cette recette et tout ses petits secrets (comme écouter les haricots rouges), Tokue se dévoile petit à petit et prend un peu d'assurance. On remarque rapidement qu'elle a un problème aux mains, d'anciennes cicatrices et boursouflures de lèpre. Entre ces deux exclus de la vie une amitié silencieuse va se lier.

Entre fleurs de cerisiers et non-dits, honneur et valeur du travail bien fait, importance de la nourriture et d'écouter la mémoire des aînés, on est sans doute aucun au Japon. Un Japon un peu hors du temps. Le cinéma de Naomi Kawase est lent, contemplatif, on écoute le vent et on regarde les fleurs tomber. On observe les haricots confire, les regards sont plus importants que les mots échangés. On se croirait dans un film de Miyasaki réaliste avec de vrais acteurs, la même douce mélancolie s'échappe des cadres très maîtrisés et du rythme des séquences.



La réalisatrice adapte ici un roman qui utilise cette recette pour nous parler des lépreux japonais qui ont été mis au ban de la société japonaise de 1953 à 1996 en étant enfermés d'office dans des sanatorium coupés de tout, tout ça alors qu'un médicament pour traiter la lèpre a été découvert durant les années 40 et que cette maladie a été déclarée peu contagieuse dès cette époque partout dans le monde. En 1996 le gouvernement japonais s'est excusé et a déclaré qu'il avait fait erreur. Trop tard pour beaucoup de malades qui ont passé leur vie dans ces lieux et qui ont continué à y vivre ensuite sans pouvoir réintégrer la société. C'est le cas de Tokue pour qui faire de la pâte an dans l'échoppe de dorayakis de Sentaro à 75 ans est le premier emploi.


Observer le vent dans les arbres et servir des clients devient sa liberté, trop tardivement acquise, mais qui la rend heureuse. Ce film parle de bonheur, tout petits bonheurs, mais aussi de solitude, très lourde solitude. C'est doux et amer. Complexe sensation issue d'une forme pure et simple, comme beaucoup de mets de la cuisine japonaise.

Si vous êtes du genre à vous ennuyer dès qu'un plan dépasse les 30 secondes, n'y allez pas. Si vous êtes prêts à observer quelqu'un observer le vent dans les feuilles d'un arbre, vous devriez ressortir charmé par ce conte mélancolique et contemplatif. Extrait.



Etonnamment, il passe le test Bechdel grâce à l'étudiante japonaise qui discute avec sa mère. Et surtout, il atterri directement dans ma pile de films culinaires au chapitre "Cuisines et cinémas du Monde".

4 commentaires:

  1. Je suis tentée mais en même temps, le cinéma de Kawase m’ennuie profondément. J’aime les films contemplatifs où il ne se passe rien mais... pas les siens, malgré leur esthétique.
    Je note le nom en tout cas, merci ^^

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    1. La différence avec celui-ci c'est que c'est une adaptation de roman, dont l'auteur est aussi co-scénariste du film, et que ça se passe en ville, à Tokyo. Je trouve que certaines lenteurs et solennités du cinéma habituel de Kawase sont atténuées. Et les acteurs sont vraiment extraordinaire, peut-être que celui-là te réconciliera avec la réalisatrice ;-)

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    2. Merci !
      Je reconnais la mamie-qui-est-dans-tous-les-films ^^ Je guetterai sa diffusion!

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  2. Vu tout à l'heure, je me suis complètement laissée bercer (dans le bon sens du terme), j'ai trouvé ça très chouette, et le parallèle avec Miyazaki m'a aussi immédiatement sauté aux yeux, entre autres pour le côté inter-générationnel.

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